L’étain (cassitérite), le tungstène (wolframite) et le tantale (coltan) sont des minéraux collectivement désignés sous le vocable « 3T ». L’étain est un métal léger facile à fondre, qui se trouve essentiellement dans la cassitérite. Le tungstène est pour sa part un métal dur et durable ayant un point de fusion très élevé. Il provient de la wolframite, un minerai ainsi nommé pour sa teneur en tungstène. Quant au coltan, il s’agit d’un minerai métallique mat qui, une fois affiné, devient du tantale – une poudre résistante à la chaleur qui peut stocker une puissante charge électrique.
L’extraction de l’étain se fait un peu partout dans le monde, mais les principales exploitations se trouvent en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Pérou et en Bolivie. La Chine assure aussi rien de moins que 80 % de la production mondiale de tungstène, devant les autres producteurs clés que sont la Russie et le Vietnam. La République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont tous deux des mines d’étain et de tungstène. Bien que des gisements de tantale aient aussi été découverts sur presque tous les continents, la région des Grands Lacs africains demeure en tête de la production de tantale, la RDC et le Rwanda se classant parmi les principaux producteurs dans le monde. Le Brésil, la Chine et l’Australie figurent également parmi les autres grands producteurs.
Même si l’utilisation des 3T pour fabriquer des appareils électroniques est bien connue, il y a fort à parier que vous employez plus d’objets contenant ces minéraux au quotidien que vous ne le croyez. L’étain peut se trouver dans les lentilles de vos lunettes ou dans vos boîtes de conserve, mais aussi sous la forme de tuyaux, de plastiques, et d’équipement d’entraînement. Quant au tungstène, son extrême résistance à la chaleur en fait une composante idéale de nombreux outils, électroménagers, ampoules électriques, câbles et contacts électriques. Le tantale se cache pour sa part dans des pièces pour l’automobile et l’aérospatiale (p. ex. les systèmes d’allumage, coussins gonflables, GPS, et aubes de réacteur), dans des dispositifs médicaux (p. ex. les appareils auditifs et simulateurs cardiaques) ou encore dans des outils électriques.
L’étain se trouve dans la cassitérite, le plus souvent dans des dépôts alluviaux à la surface de la terre, le long du lit des cours d’eau. Son extraction est une réduction de la cassitérite par le carbone à une température extrêmement élevée. Les impuretés sont ensuite extraites à l’aide de produits chimiques.
Même si l’extraction du tungstène peut se faire à ciel ouvert, on trouve le plus souvent cette ressource en régions montagneuses, près du marbre, de l’ardoise et du granit. Les étroites veines de la wolframite – fines structures du minerai cristallisé – se trouvent quant à elles sous la terre. Le minerai extrait est passé au concasseur et au broyeur pour obtenir les cristaux de tungstène. La séparation du tungstène est ensuite faite au moyen de secoueurs, de batées ou de filtres.
Le tantale est en général extrait dans les dépôts alluviaux, le long des cours d’eau. Les mineurs y creusent pour récolter un mélange de sable, de roches et de boue; ils le passent à la batée et au filtre pour séparer les fragments de coltan plus denses, après quoi le tantale en sera extrait à l’aide d’agents chimiques.
Les 3T passent ensuite à l’affinage, une étape souvent effectuée en Asie. Ce sont généralement des exploitants miniers artisanaux qui font l’extraction de ces trois minéraux, en particulier dans la région des Grands Lacs.
L’extraction de l’étain, du tungstène et du tantale dans la région des Grands Lacs, en particulier en République démocratique du Congo, est associée à des groupes armés et au financement de conflits. Les trois minéraux, communément appelés les 3T, ont été désignés comme des minéraux de conflit – à l’instar de l’or – par la communauté internationale et les collectivités régionales. Les 12 chefs d’État parties prenantes de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) se sont ainsi tous engagés à instaurer des mesures de traçabilité et à exercer leur devoir de diligence au regard de ces minéraux susceptibles de générer des conflits.
L’extraction artisanale des 3T demeure une activité largement parallèle, sans réglementation et surveillance de la sécurité pour l’encadrer. Dans les mines aux mains de groupes armés, certains droits de la personne sont bafoués, sans compter les conditions de travail dangereuses, les enfants au travail, la discrimination et la violence fondées sur le genre, de même que la dégradation de l’environnement qui y sont constatés.
Et même si les femmes jouent un rôle pluriel dans l’extraction des 3T, elles font souvent l’objet de jugements et de traitements discriminatoires qui les empêchent de tirer pleinement parti de ces ressources.
Dans nombre de pays, en particulier de la région des Grands Lacs, où les 3T participent du financement de conflit, la production de l’étain, du tungstène, et du tantale passe souvent sous le radar. Et ces ressources traversent les frontières illégalement, ce qui fait perdre des revenus aux États.
Or au sein de la communauté internationale, les lois en matière de divulgation de l’information qui encadrent le secteur privé aux États-Unis et au sein de l’Union européenne insistent sur la transparence des chaînes d’approvisionnement. Toutes les entreprises qui interviennent à un point ou l’autre d’une chaîne d’approvisionnement doivent en fait rendre publiquement compte de leur approvisionnement en étain, tungstène, tantale, et or, et par ailleurs démontrer qu’elles ont des mesures pour s’assurer que leurs pratiques ne violent pas les droits de la personne ni ne contribuent aux activités de groupes armés.
Quelques initiatives du privé ont vu le jour pour mettre fin au commerce illicite des 3T et favoriser autant la traçabilité que l’exercice du devoir de diligence. Ces initiatives sont actuellement réalisées partout dans la région des Grands Lacs.
Par nos travaux de recherche, nous ciblons les catalyseurs du commerce illicite des minéraux susceptibles d’engendrer des conflits et mettons de l’avant des recommandations, notamment la formalisation du secteur minier artisanal, la réalisation d’une réforme fiscale, l’harmonisation des lois et le renforcement des contrôles internes pour mettre un terme à la contrebande. Nous menons aussi des analyses au regard de la certification, de la traçabilité et du devoir de diligence dans le secteur des 3T. En 2011, nous avons publié Taming the Resource Curse: Implementing the ICGLR Certification Mechanism for Conflict-prone Minerals (disponible en anglais seulement), étude qui présente un mécanisme de certification fondé sur des pratiques exemplaires pour les 3T. Le mécanisme a été approuvé par tous les chefs d’État de la CIRGL parties prenantes de la Déclaration de Lusaka, en décembre 2010.
Notre visée de transformation de la chaîne d’approvisionnement en 3T nous a également menés à poser des actions pour instaurer des mesures de traçabilité et de devoir de diligence applicables aux minéraux, tout en mettant en avant les avantages qu’en retirent les mineurs, leurs communautés et les pays producteurs. Depuis 2005, nous sommes un partenaire de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) – qui a classé les 3T comme des minéraux susceptibles de générer des conflits – et nous avons pris d’importantes mesures pour freiner le commerce illicite. Nous avons conseillé la CIRGL durant l’élaboration de l’Initiative régionale contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (IRRN), et nous sommes également un partenaire technique de la mise en œuvre des six outils, notamment le Mécanisme régional de certification et la formalisation du secteur artisanal. Nous avons mis la main au Mécanisme régional de certification et veillé à l’orientation technique en vue de sa mise en œuvre, partout dans la région. Nous avons également rédigé un manuel de certification détaillé et arrimé avec le Guide OCDE sur le devoir de diligence, une ressource partout utilisée actuellement dans la région pour déployer le mécanisme de certification régional. De plus, nous avons contribué à l’élaboration de lois nationales pertinentes, tenu nos ateliers de sensibilisation et offert de la formation aux inspecteurs de mines en RDC et au Rwanda. Nous participons en outre à la mise en œuvre de la Base de données régionale sur les flux de minéraux de la CIRGL. Grâce à cette base de données, les autorités nationales et régionales de même que les acheteurs internationaux auront accès à des données fiables et transparentes. Nous avons soutenu la mise sur pied d’un réseau d’intervenants de la société civile régionale – la Coalition des Organisations de la Société Civile dans la Région des Grands Lacs contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (COSOC-GL) – et avons donné de la formation à ces intervenants pour les accompagner dans leur lutte contre le commerce illicite des 3T. Avec la COSOC-GL, nous avons conçu une trousse pour la société civile lui permettant de surveiller les risques dans la chaîne d’approvisionnement en 3T et en or, puis d’en rendre compte, aidant ainsi le privé dans sa reddition de comptes publique. Nous avons en outre contribué directement à l’élaboration du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, notamment par nos conseils pour le supplément du guide sur les 3T, et nous avons favorisé son application dans le secteur des 3T. Nous assurons le développement des capacités et la sensibilisation des décideurs, de la société civile et du privé quant à leur obligation de conformité au regard des lois internationales et régionales et à leur devoir de diligence. Avec les parties prenantes, nous mettons aussi au point des stratégies pour renforcer les contrôles et ainsi enrayer le commerce illicite.
Nous favorisons le dialogue avec les partenaires, dont les décideurs et le secteur privé, dans le but d’instaurer des mesures de traçabilité et de devoir de diligence au sein de la chaîne d’approvisionnement en 3T, mais aussi pour veiller à ce que les exploitants miniers et leurs communautés en retirent les bénéfices. Nous faisons front commun avec la COSOC-GL, un réseau d’intervenants de la société civile dans la région des Grands Lacs qui tâche d’enrayer le commerce illicite de ressources naturelles et qui représente le point de vue et les préoccupations des mineurs artisanaux auprès des entreprises et des gouvernements. Ensemble, nous amenons les gouvernements à renforcer leurs contrôles internes, et le secteur privé à instaurer des mesures de traçabilité et de devoir de diligence tout au long de leur chaîne d’approvisionnement en 3T. Nous sensibilisons aux besoins des mineurs artisanaux et aux obstacles auxquels ils peuvent se buter à l’entrée dans cette économie officielle, et dialoguons ouvertement à ces sujets. Notre démarche de sensibilisation sur les droits des femmes en général et sur leur droit d’accéder aux ressources, de les contrôler et d’en tirer parti est par ailleurs notable. Enfin, nous conscientisons et informons les consommateurs sur l’origine des minéraux qui les entourent.