La République démocratique du Congo (RDC) est depuis longtemps au centre des débats mondiaux sur les minéraux de conflit. Tandis qu’une nouvelle crise secoue les régions du pays riches en ressources minérales, les analystes proposent souvent des solutions rapides qui ne tiennent pas compte des besoins locaux ou des leçons tirées du passé.

L’une des solutions proposées, que l’on a déjà tenté d’appliquer par le passé, consiste à imposer un embargo sur toutes les exportations de minéraux ou sur les activités d’exploitation. Si cette solution semble aller de soi, elle ne tient pas compte des réalités complexes du terrain. Selon l’expérience et les connaissances des personnes œuvrant dans ce secteur, ce type de mesure entraîne souvent des conséquences inattendues. En effet, au lieu de s’attaquer aux causes sous-jacentes du problème, un embargo a plutôt tendance à compliquer la vie des populations locales et, en fin de compte, à saper tous les efforts déployés en vue d’améliorer leur situation.

Interventions déjà faites dans la chaîne d’approvisionnement

En RDC, les minéraux sont au centre de violents conflits et sont soumis à la contrebande. Il s’agit d’un problème complexe sur lequel de nombreux organismes, dont IMPACT, se penchent depuis des années. Pour être efficaces, les solutions à ce problème doivent être éclairées par les connaissances tirées de ces études approfondies. Elles ne peuvent être dictées par la simple volonté de réagir. L’embargo est peut-être une solution toute faite, mais qui nuit aux communautés locales dont la subsistance dépend de l’exploitation minière artisanale, ce qui a pour conséquence de les appauvrir ou de les pousser à traiter avec des réseaux illégaux. Au lieu d’améliorer la situation, de telles mesures peuvent empirer la situation de ceux et celles que l’on voulait aider.

Quand on se penche sur l’incidence de politiques normatives, l’histoire est riche en précieuses leçons.

En 2010, l’article 1502 de la loi Dodd-Frank exigeait des entreprises cotées en bourse aux États-Unis qu’elles signalent la présence de l’étain, le tantale, le tungstène et l’or provenant de la RDC ou des pays voisins dans leurs chaînes d’approvisionnement. Sans décourager l’approvisionnement, elle exigeait des entreprises qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable pour s’assurer qu’elles ne finançaient pas des groupes armés en s’approvisionnant auprès d’eux. Toutefois, lorsque la loi est entrée en vigueur, de nombreuses entreprises, craignant d’œuvrer dans l’illégalité ou de nuire à leur réputation, ont cessé de s’approvisionner en minéraux provenant de la RDC et de la région environnante. Ce boycottage « de facto » a aggravé la situation des communautés minières locales et précipité bon nombre d’exploitantes et d’exploitants artisanaux dans une pauvreté encore plus grande.

En conséquence, les groupes armés ont commencé à repenser leurs stratégies pour s’adapter à l’évolution du paysage économique. Dans un premier temps, ces groupes ont prospéré grâce au trafic, à la taxation et au contrôle direct du tungstène et du tantale (T3) sur les sites miniers ou à proximité. Ils pouvaient ainsi compter sur des revenus réguliers, mais également maintenir un certain degré de stabilité et de sécurité dans ces zones. Cependant, ces minéraux devenant moins lucratifs, ces groupes ont commencé à chercher d’autres sources de revenus.

Selon les rapports, au fur et à mesure que les profits des 3T s’amenuisaient, leur attention s’est portée sur l’or. À l’époque, il n’existait pas encore de système de traçabilité de l’or artisanal et les prix de cette ressource avaient grimpé en flèche. Les régions riches en ressources aurifères ont alors été livrées à une concurrence féroce, les conflits se sont aggravés, de même que le cycle de l’exploitation.

Capacité d’adaptation des contrebandiers de minéraux

L’expérience sur le terrain montre que les embargos peuvent provoquer une augmentation de l’activité sur le marché noir. Les minéraux sont sortis clandestinement du pays dans des conditions plus dangereuses pour les exploitantes et exploitants miniers. Par exemple, en octobre 2019, le bureau américain des douanes et de la protection des frontières (US Customs and Border Protection Agency) a annoncé que l’or artisanal provenant de la RDC ferait l’objet de contrôles accrus, car il y avait tout lieu de croire qu’il était associé au travail forcé. Toutefois, en RDC, la société civile a qualifié ces mesures de « stigmatisantes », car elles imposaient un « embargo de facto » qui aurait pour seul effet de multiplier les actes de contrebande. L’éclosion de la COVID-19 a aggravé cette dynamique. Pendant toute la durée de la pandémie, les frontières étaient pour la plupart fermées et les routes commerciales gravement perturbées. Les études réalisées par IMPACT pendant la COVID-19 ont montré que ces restrictions avaient créé les conditions idéales pour la prolifération du marché noir. Les routes officielles étant bloquées, les contrebandiers ont profité du chaos et du peu de surveillance pour multiplier leurs activités. Les négociants ont profité de la crise pour contourner les points de contrôle officiels et acheminer les minéraux par des voies non officielles, souvent plus risquées.

Notre travail en RDC nous a montré que les contrebandiers s’adaptent très vite aux nouvelles contraintes. Motivés par le profit, ces individus et ces réseaux savent comment contourner les restrictions et réglementations. Ils exploitent les failles du système et trouvent facilement des solutions de rechange. Il est donc difficile de restreindre leurs activités par de simples interdictions. Les contrebandiers tirent avantage de leur connaissance approfondie du terrain et de leurs réseaux complexes pour trouver rapidement d’autres voies et d’autres méthodes de transport. Grâce à cette faculté de rebondir, ils continuent à tirer profit du commerce illicite, même quand la répression se fait plus forte. Selon les conclusions d’IMPACT, lorsque les autorités intensifient les mesures de répression, les contrebandiers réagissent en déplaçant leurs opérations dans des régions où la surveillance est plus faible ou plus facile à déjouer. Ils reconstituent leurs organisations. Pour ce faire, ils changent souvent le nom de leurs sociétés et nomment de nouvelles personnes comme « visage » de l’entreprise afin d’éviter d’être repérés. Ces entités exploitent les lacunes des lois locales et internationales, profitant des cadres réglementaires fragmentés d’une frontière à l’autre. Ce faisant, elles continuent à écouler des minéraux à l’extérieur du pays.

En outre, les contrebandiers exploitent la vulnérabilité économique des communautés locales et incitent les exploitantes et exploitants du secteur artisanal à vendre leurs minéraux en marge des circuits légaux, créant ainsi un cycle de dépendance économique difficile à briser. Avant même de trouver de l’or, les contrebandiers accordent souvent un préfinancement aux exploitantes et exploitants miniers pour couvrir les coûts d’exploitation minière et les aider à répondre à leurs besoins fondamentaux. Les exploitantes et exploitants sont donc endettés vis-à-vis des contrebandiers et, dans ce contexte de dépendance, il devient donc difficile pour eux de se tourner vers un modèle formel, ce qui sape les efforts visant à établir des pratiques responsables en matière d’approvisionnement et renforce le commerce illégal.

Obstacles à l’élimination des minéraux du marché noir

Il est difficile d’éliminer les minéraux du marché noir, en particulier dans le secteur aurifère. Il s’agit d’un chemin semé de nombreuses embûches. L’un des principaux obstacles est le nombre insuffisant de sites déclarés libres de conflits d’où l’on peut légalement extraire de l’or. En outre, le préfinancement est inadéquat ou irrégulier, ce qui complique la situation, car les exploitantes et exploitants artisanaux ont souvent de la difficulté à disposer des fonds dont ils ont besoin. Ils se trouvent donc forcés à vendre leur or par des voies officieuses. De plus, les contrebandiers payent l’or immédiatement, et parfois à un prix supérieur à celui du marché officiel. Les taxes élevées et les coûts de transport sont également des obstacles au commerce légal de l’or et ils rendent le marché noir plus attrayant. En RDC, les pressions économiques et le manque d’infrastructures renforcent encore ces obstacles, ce qui complique encore davantage la transition vers des pratiques minières et commerciales légales.

Travailler avec les communautés locales

Il est essentiel de s’engager pleinement à écouter les communautés locales et à leur donner les moyens d’agir. Plutôt que d’imposer des solutions externes, il faut comprendre le point de vue des personnes qui vivent et travaillent dans ces régions, en particulier des femmes – qui sont souvent exclues des discussions et des efforts visant à résoudre les conflits. Le projet d’IMPACT, Femmes de paix, illustre la manière dont les initiatives menées par les communautés peuvent susciter un changement de fond. Dans le cadre de ce projet réalisé en RDC, des femmes ont suivi une formation et ont reçu de l’aide pour prendre des décisions au sein de leur communauté, notamment au chapitre de la médiation de conflits, de la promotion de la paix et de la défense des droits de leurs concitoyennes.

Dans la province de l’Ituri, des femmes ont créé des noyaux de paix qui ont pour mission de résoudre les conflits avant qu’ils ne dégénèrent. Ces noyaux jouent également un rôle crucial en matière de sensibilisation à l’incidence des groupes armés sur la communauté et de défense de la protection des femmes et des enfants. Si l’on écoute les voix des femmes et des autres membres de la communauté, il est possible de déployer des stratégies tenant compte de la culture et adaptées aux besoins réels de la population.

On peut ainsi mieux cerner les causes profondes des conflits et comprendre les besoins de la communauté. C’est grâce à cette approche collaborative que des interventions plus durables et plus efficaces peuvent être mises au point. Lorsqu’une communauté locale prend l’initiative du changement, ce dernier sera mieux adopté et plus pérenne.

Il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons favoriser la mise en place de chaînes d’approvisionnement responsables et résilientes, moins vulnérables aux groupes armés. Pour ce faire, au lieu de se concentrer seulement sur les exigences du marché international ou sur des normes imposées de l’extérieur, nous devons collaborer avec les exploitantes et exploitants artisanaux et avec les communautés afin de les rencontrer là où ils se trouvent.

Soutenir ces communautés, c’est leur offrir une éducation, des débouchés économiques et un accès aux ressources qui leur permettent de participer à l’économie légale selon leurs propres conditions. Par exemple, les partenaires de Femmes de paix réalisaient aussi un projet parallèle visant à aider les femmes à développer d’autres moyens de subsistance, comme l’agriculture ou le commerce à petite échelle. Il a ainsi été possible de réduire leur dépendance à l’égard de l’exploitation minière et d’être moins exposées aux risques connexes. En établissant ces liens et en veillant à ce que la communauté dispose des outils et des connaissances dont elle a besoin, nous pouvons contribuer à créer des chaînes d’approvisionnement qui ne sont pas seulement transparentes et traçables, mais aussi ancrées dans le bien-être et l’autonomisation des personnes les plus touchées par les problèmes qui se posent en RDC.

Des décennies d’apprentissage

Pour lutter correctement contre la contrebande de minéraux et contre la violence en RDC, il faut comprendre les difficultés systémiques qui attisent des conflits qui durent depuis des dizaines d’années. Les minéraux ne sont pas à l’origine de la violence. Cependant, bon nombre de parties prenantes aux conflits qui sévissent en RDC et dans toute la région s’en servent pour obtenir des gains pécuniaires et exercer un pouvoir politique. 

On pourrait logiquement croire que si cette source de revenus venait à tarir, les groupes armés se désintègreraient partout au pays, mais l’histoire et l’expérience nous enseignent tout autre chose. Elles nous montrent plutôt qu’un embargo touche peu ceux qu’il vise, car ces derniers adaptent leurs stratégies ou maintiennent le statu quo. En revanche, des centaines de milliers d’exploitantes et d’exploitants artisanaux et leurs familles sont touchés de plein fouet par de telles mesures.

Pour réellement couper le cordon qui relie les minéraux au conflit en RDC, il faut s’attaquer aux causes profondes de la violence à l’aide d’approches plus globales, allant au-delà des chaînes d’approvisionnement en minéraux. Il est important de s’inspirer des erreurs du passé et de ne pas répéter ce qui a échoué – des solutions simplistes comme un embargo ne règleront rien. Il faut aller à la rencontre des personnes sur le terrain, les écouter, soutenir les initiatives des communautés et s’attaquer aux causes profondes du problèmes, d’ordre systémique.


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