Bienvenue dans notre série Focus consacrée aux facteurs clés qui favorisent la création d’une chaîne d’approvisionnement en minerais responsable. Au moyen d’entrevues avec des expertes et experts, nous y mettrons en lumière les difficultés et les innovations que nous croisons sur notre chemin, ainsi que les solutions concrètes qui se dégagent du travail que nous effectuons auprès des gouvernements, du secteur privé et des exploitantes et exploitants artisanaux eux-mêmes pour soutenir leurs communautés.
La série, qui donnera la parole à des membres de l’équipe d’IMPACT et à certains de ses partenaires, touchera aux cinq domaines d’intervention de l’organisme, à savoir : la réforme réglementaire et législative, la transparence de la chaîne d’approvisionnement, le commerce illicite, l’égalité des genres et la gestion de l’environnement. Elle fouillera la question de l’harmonisation des politiques, de la collaboration entre les parties prenantes et de l’implantation de pratiques équitables dans le secteur de l’exploitation minière artisanale.
Cet article vous propose de faire la connaissance d’Oscar Katho, chargé de l’environnement chez IMPACT, en République démocratique du Congo (RDC). Oscar explique comment aider les exploitantes et exploitants miniers artisanaux à restaurer et à protéger les écosystèmes, en vue de favoriser une gestion efficace de l’environnement. À l’heure actuelle, la révolution des technologies vertes entraîne une hausse de la demande de minerais et les changements climatiques intensifient les phénomènes météorologiques extrêmes. Les exploitantes et exploitants miniers artisanaux sont donc souvent pris entre deux feux et se heurtent à des défis complexes ayant un fort retentissement sur les communautés locales.
Oscar est basé dans la province de l’Ituri, située au nord-est de la RDC. D’abord chargé des questions de traçabilité au sein d’IMPACT, il a aidé les acteurs locaux de la chaîne d’approvisionnement à mettre en œuvre des mécanismes de traçabilité et de diligence raisonnable dans le cadre de notre projet phare, Or Juste. Fort de son expérience dans le secteur aurifère artisanal, il s’attache à aider les communautés minières à adopter des pratiques plus responsables, susceptibles de réduire les préjudices environnementaux, de renforcer la résilience des populations et de préserver les écosystèmes pour les générations à venir.
Il est de plus en plus admis qu’il faut protéger les écosystèmes et la biodiversité dans les communautés minières, sans se cantonner à la fermeture responsable des mines. Pourquoi est-il essentiel d’intégrer la gestion de l’environnement dans notre collaboration avec les communautés minières artisanales, compte tenu de la nécessité de protéger les écosystèmes et la biodiversité face à la déforestation causée par la demande croissante en minerais critiques, ainsi que des impacts des changements climatiques sur ces communautés ?
Oscar : On associe rarement exploitation minière artisanale et protection de l’environnement – en fait, c’est même plutôt le contraire. Pourtant, ces communautés sont très largement touchées par la modification des écosystèmes et la perte des biodiversités. En effet, les activités minières sont souvent pratiquées à proximité de zones résidentielles où les populations dépendent de leur environnement pour cultiver la terre, faire la chance et la cueillette, pêcher et se nourrir, ce qui leur donne un intérêt personnel à le protéger. La déforestation ou la contamination de l’eau ne nuisent pas seulement à la nature, elles menacent aussi la santé, la sécurité et les moyens de subsistance des communautés.
La protection de l’environnement est en outre étroitement liée à la sécurité des travailleuses et travailleurs. L’utilisation de techniques d’extraction inadaptées (creusage non réglementé, percement de puits ou des tunnels sans mesure de protection adéquate …) peut déstabiliser les sols et affaiblir les structures géologiques.
Ainsi, même de petites perturbations, comme de fortes pluies ou des vibrations, sont susceptibles de causer des effondrements mortels. En République démocratique du Congo (RDC), les fortes pluies sont à l’origine de plusieurs glissements de terrain et effondrements de tunnels, qui ont fait de nombreuses victimes. Dans les zones où la végétation a été défrichée, le sol est davantage exposé à l’érosion, ce qui accroît encore le risque de glissements de terrain.
Il est nécessaire de s’assurer que les exploitantes et exploitants miniers artisanaux ont non seulement la capacité de protéger et de restaurer leur environnement, mais aussi de mener ces efforts au sein de leur communauté.
Par exemple, en République démocratique du Congo, nous avons accompagné les exploitants et exploitantes minières dans l’élaboration d’un Plan d’atténuation et de réhabilitation (PAR) pour les sites miniers tout au long du processus d’exploitation. Cela les aide à appliquer des pratiques respectueuses de l’environnement, telles que la plantation d’essences à croissance rapide pour atténuer les risques d’érosion et de glissements de terrain autour des puits, ainsi que l’installation de zones appropriées pour le lavage des minerais afin de ne pas contaminer les écosystèmes aquatiques.
La gestion de l’environnement constitue l’un des cinq domaines d’intervention prioritaires d’IMPACT. Comment mettre en place une politique efficace au service de cet objectif et quel rôle peuvent jouer les exploitantes et exploitants miniers?
Oscar : La gestion de l’environnement est un terme général qui désigne la façon dont nous interagissons avec l’environnement pour assurer sa protection, sa conservation et sa pérennité.
La gestion de l’environnement consiste à donner aux communautés locales les moyens de reconnaître et de comprendre les effets de leurs activités minières, tout en leur permettant d’en réduire les répercussions écologiques. Pour ce faire, il est possible de leur fournir une assistance technique directe, en favorisant par exemple l’adoption des technologies sans mercure, en mettre à place des mesures d’adaptation fondées sur la nature, comme la réintroduction de la végétation indigène propice au stockage du carbone, ou même soutenir une gouvernance plus inclusive intégrant directement la gestion des écosystèmes.
Les exploitantes et exploitants miniers artisanaux ont souvent une connaissance approfondie des écosystèmes locaux. Ils ont une bonne compréhension des cycles naturels, notamment des régimes de précipitations pour le calendrier agricoles, période de la cueillette et la santé des sols. Ces connaissances peuvent les aider à adopter des pratiques plus durables, en harmonie avec leur environnement.
Par exemple, les exploitantes et exploitants miniers avec lesquels nous travaillons en RDC ont conscience qu’un environnement sain contribue à améliorer la santé des sols pour l’agriculture ainsi d’autres service écosystémique pour accroître leur résilience défis liés aux changements climatiques. En revanche, ils ne voient pas toujours en quoi leurs activités minières sont liées à la protection de ces mêmes écosystèmes. La gestion de l’environnement doit donc devenir une priorité pour les exploitantes et exploitants miniers artisanaux et leurs communautés afin de les inciter à adopter dès le départ des pratiques plus responsables.
L’objectif est d’instaurer un sentiment de responsabilité partagée parmi les exploitantes et exploitants, les communautés et les parties prenantes et ainsi de favoriser la protection de l’environnement. Il est par conséquent indispensable de former les travailleuses et travailleurs à des techniques durables, de faire respecter les cadres réglementaires et de soutenir les initiatives de reboisement et de restauration de la biodiversité. La gestion de l’environnement permet aussi de viser des objectifs climatiques plus larges, comme la réduction de l’empreinte carbone et le renforcement des écosystèmes pour favoriser la résilience face au changement climatique. Il s’agit de parvenir à un équilibre et de faire en sorte que l’exploitation minière contribue à la subsistance des populations sans compromettre la santé de leur environnement ou des personnes qui en dépendent.
Dans le cadre du projet Or Juste, nous avons fourni une assistance technique aux exploitantes et exploitants miniers artisanaux afin de les aider à devenir plus respectueux de l’environnement. Grâce à une collaboration étroite avec la coopérative minière locale, au renforcement des capacités et à un plan de remise en état des sites, ce sont plus de 20 puits de mine qui ont été remblayés et 7 700 arbres qui ont été plantés dans des pépinières fraîchement créées.
Il est important de noter que les communautés locales ont de plus en plus conscience des répercussions de l’exploitation minière artisanale sur l’environnement. C’est un premier pas vers la mise en place de mesures efficaces.
Selon votre expérience, quels sont les plus grands défis à relever pour pouvoir travailler à la protection de l’environnement de concert avec les communautés minières artisanales? Comment y parvenir?
Oscar : Bien souvent, les avantages immédiats ont plus de poids que les répercussions à long terme et beaucoup font passer leur revenu quotidien avant la durabilité, tant en raison d’impératifs financiers que d’un manque de sensibilisation.
Mais la plupart du temps, les exploitantes et exploitants miniers artisanaux et leurs communautés sont disposés à adopter des pratiques respectueuses de l’environnement quand ils en voient les avantages tangibles : conditions de travail plus sûres, amélioration de leur santé et moyens plus durables au service écosystémique pour leurs besoins quotidiens.
La protection de l’eau, des sols et des autres ressources vitales a des répercussions directes sur leur vie de tous les jours, ce qui les rend plus enclins à s’impliquer dans des projets environnementaux. Ces efforts permettent aussi de rapprocher les gens. En effet, la mobilisation en faveur d’initiatives de reboisement ou de gestion des ressources collectives renforce la solidarité et les liens au sein de la communauté, dans l’intérêt de toutes et de tous.
Cependant, des défis se posent concernant l’introduction de pratiques durables pour la gestion de l’environnement, car certaines communautés perçoivent des avantages immédiats sans envisager les conséquences à long terme. Par exemple, dans l’est de la République démocratique du Congo, certaines communautés ont vendu de vastes espaces à des coopératives minières soutenues par des investisseurs étrangers, ce qui a entraîné la dévastation des forêts et la modification du cours naturel des rivières, sans étude d’impact environnemental et social préalable ni plan d’atténuation et de réhabilitation des sites miniers. Une fois que ces coopératives ont extrait les minerais, elles laissent l’environnement détruit.
L’absence de réglementations claires et de systèmes visant à favoriser l’adoption de pratiques respectueuses de l’environnement constitue en outre un obstacle majeur. Il est par conséquent essentiel de collaborer étroitement avec les autorités afin de promouvoir des lois qui encouragent une activité minière durable, tout en protégeant les droits des travailleuses et travailleurs.
Une sensibilisation efficace est tout aussi importante, car elle permet de prouver les avantages concrets de la gestion de l’environnement sur la santé, la sécurité et les moyens de subsistance des populations. En démontrant que des pratiques durables peuvent contribuer à améliorer les conditions de travail, à préserver la qualité de l’eau et à garantir des revenus plus stables, les communautés sont plus susceptibles d’adhérer au changement. L’évolution des mentalités et le renforcement de la mobilisation en faveur de la protection de l’environnement passent donc par des campagnes de sensibilisation adaptées, l’apprentissage entre pairs et l’intégration d’objectifs environnementaux dans les plans de développement communautaire.
Le projet d’IMPACT Favoriser la résilience examine des approches visant à intégrer les intérêts écologiques des communautés dans les politiques et les stratégies à différents échelons de gouvernance. Quel est le rôle du gouvernement et des services de l’État pour inciter les exploitantes et exploitants miniers artisanaux à adopter des pratiques environnementales plus responsables?
Oscar : Le gouvernement et les services de l’État jouent un rôle capital, car ils élaborent et appliquent des politiques et des réglementations claires qui favorisent la durabilité. Cependant, ces cadres légaux et réglementaires doivent inclure les considérations des peuples autochtones et des communautés locales, qui sont les gardiens des forêts et de la protection de l’environnement. Leurs savoirs traditionnels doivent être pris en compte lors de l’élaboration des politiques et réglementations environnementales.
Le projet Favoriser la résilience va mettra en place de mécanismes et processus de gouvernance en RDC plus inclusifs, égalitaires et transparents, ainsi que par une participation accrue des femmes, des jeunes et des peuples autochtones à la prise de décision relative à la gestion des écosystèmes car la résilience des populations en contexte de changement climatique dépend en grande partie de la gouvernance des écosystèmes locaux.
IMPACT à travers ce projet, soutiendra la création de mécanismes communautaires (structures consultatives et décisionnelles) là où elles n’existent pas ou renforcera celles qui existent, par exemple sous la forme de Comité Locaux de Développement (CLD). Cela appuiera la représentation des peuples Pygmées et des femmes au sein des institutions locales, provinciales et nationales.
IMPACT va travailler avec les communautés minières artisanales de la République démocratique du Congo afin de renforcer leur capacité à restaurer et à protéger les écosystèmes. Comment ce projet contribue-t-il à la lutte mondiale contre le changement climatique?
Oscar : Le travail d’IMPACT avec les communautés minières artisanales en RDC peut participer activement à la lutte contre le changement climatique en s’attaquant à la fois aux causes et aux conséquences de la dégradation de l’environnement. Dans le cadre du projet Favoriser la résilience, nous travaillons dans quatre provinces de la RDC à la restauration des écosystèmes dégradés, qu’il s’agisse de forêts tropicales humides ou de forêts sèches, connues sous le nom de savanes.
Le projet adopte une approche d’adaptation fondée sur les écosystèmes et offre aux exploitants et exploitantes locaux du secteur minier artisanal, ainsi qu’à leurs communautés, l’assistance technique nécessaire pour restaurer et protéger ces milieux. Cela s’inscrit dans une stratégie globale de lutte contre le changement climatique.
Dans le cadre du projet Favoriser la résilience, l’évaluation rapide des services écosystémiques (ERSE) réalisée lors du diagnostic de base a permis aux communautés de prendre conscience de l’interconnectivité des services écosystémiques dont elles dépendent. Elles ont également compris comment l’exploitation minière non durable, entraînant la déforestation, influence négativement les services écosystémiques d’approvisionnement.
Par exemple, au village de Ngagwe, dans le territoire de Mambasa, tous les services écosystémiques d’approvisionnement, notamment les Produits Forestiers Non Ligneux (PFNL), d’origine végétale, ont disparu à cause de la déforestation. Il y a dix ans, l’économie locale cette communautés reposait sur ces PFNL, notamment la noix de kola, la noix de coco, etc, mais aujourd’hui, il est devenu difficile de s’en procurer. Pour les trouver, il faut parcourir plusieurs kilomètres dans la forêt, ce qui n’est pas facile, en particulier pour les femmes qui en dépendent.
En outre, la protection des écosystèmes locaux permet de favoriser la biodiversité, ce qui s’avère essentiel pour renforcer la résistance des systèmes écologiques aux variations climatiques. C’est en apprenant aux communautés à intégrer les préoccupations environnementales dans la gestion de leurs ressources qu’on peut consolider la gouvernance locale et garantir des stratégies d’adaptation à long terme aux effets du changement climatique. La sensibilisation des communautés minières encourage les changements de comportement et l’adoption de pratiques durables, qui pourraient inspirer des efforts analogues dans d’autres régions.
Enfin, en créant des synergies entre les communautés, les ONG et les gouvernements, le projet favorise la collaboration sur les initiatives climatiques, en harmonisant les actions locales avec les stratégies nationales et mondiales de lutte contre le changement climatique.
La RDC est actuellement à la croisée des chemins. Le pays est connu pour ses ressources minières, mais c’est aussi le plus grand puits de carbone au monde. Nos forêts jouent un rôle crucial dans l’absorption du dioxyde de carbone de l’atmosphère et le ralentissement du réchauffement planétaire. Cependant, elles perdent du terrain à mesure que l’exploitation minière s’intensifie. Il est indispensable de parvenir à un équilibre afin que l’activité minière ne se fasse pas au détriment de notre environnement.
Faites la connaissance d’Oscar Katho
Oscar est responsable de la protection de l’environnement chez IMPACT et habite dans la province de l’Ituri. Il a d’abord aidé les acteurs locaux de la chaîne d’approvisionnement à mettre en œuvre des mécanismes de traçabilité et de diligence raisonnable dans le cadre du projet Or Juste.
Ayant intégré l’équipe d’IMPACT en 2015, Oscar apporte ses connaissances et son expérience dans la mise en place de chaînes d’approvisionnement responsables pour l’or. Avant cela, il travaillait dans la vente d’or pour un négociant autorisé en Ituri. Oscar détient un master en environnement, avec une spécialisation en gestion des ressources naturelles, de l’Université Shalom de Bunia (USB), ainsi qu’un diplôme en gestion des systèmes d’information obtenu à Kampala, en Ouganda.