Nous sommes heureux de vous accueillir alors que nous publions le premier article de notre série Focus, qui explore les facteurs favorisant la création d’une chaîne d’approvisionnement en minerais responsable. Au moyen d’entrevues avec des expertes et experts, nous y mettrons en lumière les difficultés et les innovations que nous croisons sur notre chemin, ainsi que les solutions concrètes qui se dégagent du travail que nous effectuons auprès des gouvernements, du secteur privé et des exploitantes et exploitants artisanaux eux-mêmes pour soutenir leurs communautés.
La série, qui donnera la parole à des membres de l’équipe d’IMPACT et à certains de ses partenaires, touchera aux cinq domaines d’intervention de l’organisme, à savoir : la réforme réglementaire et législative, la transparence de la chaîne d’approvisionnement, le commerce illicite, l’égalité des genres et la gestion de l’environnement. Elle fouillera la question de l’harmonisation des politiques, de la collaboration entre les parties prenantes et de l’implantation de pratiques équitables dans le secteur de l’exploitation minière artisanale.
Dans ce premier entretien, nous vous invitons à faire la connaissance de Félicien Mbikayi, représentant pays en République démocratique du Congo (RDC). Félicien, qui compte près de 30 ans d’expérience en gestion des ressources naturelles, nous parle de la manière dont les régimes fiscaux peuvent stimuler la contrebande, du rôle que joue la transparence dans l’élimination de la corruption, de même que de la difficulté d’amener plusieurs secteurs à agir en concertation pour apporter des réformes de fond.
Depuis des années, Félicien est essentiel au travail d’IMPACT. Avant de se joindre à notre équipe, il travaillait en étroite collaboration avec la société civile afin de favoriser la transparence dans le secteur de l’extraction diamantaire. Il connaît très bien la chaîne d’approvisionnement en minerais de la RDC ainsi que les sinuosités du paysage politique dans lequel on tente d’instaurer des pratiques commerciales responsables. Plus récemment, Félicien s’est employé à améliorer la transparence dans le secteur de l’extraction artisanale de cobalt et d’or, incitant pour ce faire les parties prenantes – décisionnaires, négociants, négociantes, mineurs et mineuses – à collaborer à l’avènement de réformes fiscales.
L’habileté de Félicien à bâtir des ponts et à inspirer la confiance a fait de lui un acteur clé du travail d’IMPACT. Son leadership en matière de mobilisation des parties prenantes participe à la mise en place des réformes nécessaires à la réduction de la corruption et au renforcement de la transparence, ce qui permet de créer des chaînes d’approvisionnement plus responsables et plus durables en RDC.
Depuis des années, IMPACT réalise des projets qui visent à promouvoir la responsabilité au sein des chaînes d’approvisionnement. Nos recherches sur les facteurs qui sont susceptibles de favoriser la contrebande de minerais nous ont notamment permis de comprendre le rôle de la fiscalité dans la contrebande et la corruption. Comment expliquez-vous cette corrélation?
Félicien : Les hommes et femmes d’affaires veulent que leurs entreprises soient profitables. Quand il devient difficile d’atteindre leurs objectifs financiers et que les taxes et redevances grugent une trop grosse part de leurs profits, ils sont tentés de prendre des détours, voire d’emprunter des voies illicites, pour parvenir à leurs fins. Dans le secteur minier, cela comprend la corruption et la contrebande pour soustraire leur production aux autorités fiscales.
Par exemple, dans le secteur de l’extraction artisanale d’or, en particulier dans l’est de la RDC, les taxes élevées et la multitude de redevances perçues par les autorités fiscales incitent les exportateurs à faire sortir illégalement leur production en passant par des pays voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda, où les taxes à l’exportation ont été réduites à presque zéro.
On parle beaucoup de la contrebande transfrontalière à l’échelle régionale. Comment les régimes fiscaux des États voisins encouragent-ils la contrebande? Comment l’harmonisation des lois pourrait-elle contribuer à lutter contre la contrebande?
Félicien : Certains acteurs sont soucieux de travailler en toute légalité, mais nous avons constaté que si un acteur commercial sait que le taux d’imposition dans un pays voisin est très bas, il fera tout ce qu’il peut pour s’assurer que ses biens transitent par ce pays et soient considérés comme venant de là. De cette façon, ses frais sont moindres et sa marge de profit augmente considérablement.
En RDC, par exemple, la taxe à l’exportation sur les produits aurifères est de 3,5 %. Diverses redevances s’ajoutent à cette taxe. De fait, dans le cadre du projet Or Juste, les acteurs de la chaîne d’approvisionnement étaient soumis à 26 formalités administratives avant de pouvoir exporter depuis la province d’Ituri. Finalement, les diverses sommes à payer représentaient jusqu’à 12 % de la valeur totale de l’or – presque 19 % pour l’or d’Ituri exporté par le Sud-Kivu lorsqu’on tient compte des frais de transport.
À la même époque, en Uganda, pays voisin, au lieu de percevoir une taxe sur les exportations, on demandait une redevance de 5 % sur la valeur de l’or extrait. Cela n’a pas manqué d’attirer des acteurs cherchant à augmenter leurs profits par la voie de la contrebande. Les études d’IMPACT ont montré que certains exportateurs de la RDC, tout en augmentant ainsi leurs profits, déclarent un petit pourcentage de leurs exportations pour donner l’illusion d’opérer dans la légalité.
Bref, il est essentiel que les États harmonisent leurs lois pour encourager le commerce légitime et dissuader la contrebande via des pays ayant un taux d’imposition plus faible.
Il arrive que des exploitantes et exploitants artisanaux paient des taxes ou des redevances informelles en pensant qu’elles sont légales. Ces redevances passent parfois comme étant même plus légitimes que certaines des taxes perçues par les autorités. Pourquoi sont-elles aussi répandues?
Félicien : Plusieurs raisons expliquent l’existence de ces taxes et redevances informelles – notamment le manque d’information sur ce qui est légal et ce qui ne l’est pas parmi les parties prenantes du secteur. Même quand les producteurs et productrices savent qu’une taxe est illégale, ils peuvent se trouver dans l’obligation de la payer, parce qu’autrement leurs biens n’atteindront jamais le marché.
Par exemple, une coopérative d’extraction artisanale de cobalt doit verser l’équivalent de 5 000 $ à 10 000 $ US au Service d’encadrement de la production minière à petite échelle (SAEMAPE), selon qu’elle est située au Haut-Katanga ou dans la province de Lualaba. Ces frais couvrent les conseils techniques du SAEMAPE et, bien qu’ils n’aient pas de fondement juridique et soient considérés comme informels ou illégaux,Il est impossible d’installer une coopérative dans une zone d’exploitation artisanale sans les payer.
Donc, pour répondre à votre question, si on veut que ça change, il faudra qu’il y ait concertation de toutes les parties prenantes : les décisionnaires, les services techniques de l’État, les négociants et négociantes, ainsi que les exploitantes et exploitants miniers.
IMPACT mise sur la transparence pour lutter contre la corruption dans le secteur minier en RDC. Comment la transparence favorise-t-elle les réformes fiscales et contribue-t-elle à la responsabilité dans la chaîne d’approvisionnement?
Félicien : Le manque de transparence favorise la corruption, qui est un problème majeur. Y contribue l’impossibilité pour les parties prenantes de savoir si les montants qu’on leur demande de payer sont légitimes ou non. Alors, pour commencer, toutes les parties doivent comprendre ce qu’elles sont légalement tenues de payer. L’information doit être rendue publique et les paiements doivent être faits de manière transparente. Dans le cadre de son travail, IMPACT a consulté le gouvernement et les parties prenantes du secteur de l’extraction artisanale en RDC afin de « cartographier » les taxes et redevances à payer pour l’or et le cobalt.
Dans le secteur de l’or, nous avons déjà vu comment cette information contribue à décourager les redevances informelles.
L’une des réformes préconisées par les parties prenantes du secteur minier, et qui fait l’objet d’une étude à l’heure actuelle, consisterait à percevoir toutes les taxes et redevances au moyen d’un « guichet unique ». Un tel guichet améliorerait la transparence et réduirait les avenues de corruption, car tout le monde saurait clairement ce qui doit être payé à qui, pourquoi et à quelle fréquence.
Une telle transparence réduirait la corruption et favoriserait la réforme fiscale.
Dans le cadre de son travail, IMPACT a consulté des responsables gouvernementaux et diverses parties prenantes de l’extraction artisanale en RDC. Pourquoi est-il difficile d’amener tous ces acteurs à travailler ensemble pour concevoir une réforme fiscale?
Félicien : Nous avons constaté que tout le monde veut bien discuter, mais qu’il y a des obstacles systémiques très difficiles à surmonter pour éliminer la corruption et opérer des réformes fiscales. Par exemple, l’un des plus grands enjeux est le manque de financement public pour les services qui appuient le secteur minier, comme le SAEMAPE. Il faut aussi mentionner le fait que les agentes et agents chargés d’appliquer la loi sont très peu rémunérés.
Ces organismes et leur personnel vivent essentiellement des sommes qu’ils perçoivent pour leurs services, éventuellement des partenaires techniques et financiers et dans une certaine mesure des subsides de l’État congolais. Bref, leur situation financière est si précaire que ces effectifs ont besoin des redevances informelles ou illégales pour survivre.
Une autre difficulté provient de l’absence de sanctions pour les agentes et les agents de l’État qui s’adonnent à ce genre de pratiques. Les décisionnaires seraient également complices et profiteraient financièrement du statu quo, ce qui représente un frein majeur au changement.
Néanmoins, il y a des signes encourageants. Durant nos discussions et nos ateliers, les services techniques, en l’occurrence le SAEMAPE, le CEEC et la Division des Mines se sont engagés à soutenir des réformes afin de réduire la corruption dans la chaîne d’approvisionnement en minerais. Bien sûr, ces réformes ne se concrétiseront pas du jour au lendemain, mais la collaboration amorcée entre le gouvernement, le secteur privé et le secteur de l’exploitation minière artisanale représente une étape clé pour amener plus de transparence dans l’industrie minière et la rendre plus durable.
Le parcours de Félicien Mbikayi
Félicien est représentant pays, RDC, chez IMPACT. Basé à Kinshasa, il est responsable des relations entre l’organisme et les responsables de l’État en RDC, des stratégies de plaidoyer et des orientations stratégiques pour accompagner la mise en œuvre de la vision d’IMPACT dans ce pays. Il tisse des liens avec les décisionnaires et les parties prenantes, promeut les projets d’IMPACT et surveille le climat politique au pays.
Félicien compte près de 30 ans d’expérience comme gestionnaire de projet, consultant et facilitateur, plus particulièrement dans les domaines du développement rural et de la gestion des ressources naturelles. Avant cela, Félicien a assumé plusieurs fonctions, notamment Point focal du Réseau ressources naturelles RDC au Kasaï-Oriental, secrétaire général du Conseil national des ONG de développement et, pendant cinq ans, membre du comité technique de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Depuis 2005, il préside aussi un groupe qui encourage la participation citoyenne à la gestion des ressources naturelles en RDC. Félicien est titulaire d’un diplôme d’études supérieures en développement rural de l’Institut supérieur de développement rural de Bukavu (RDC).