Au moment de s’offrir de nouveaux bijoux, les consommatrices et consommateurs sont souvent placés devant un dilemme : comment s’assurer que leur achat constitue un geste bon pour la planète? Font-ils un choix éthique?

Et l’or recyclé est souvent présenté comme la solution.

Un point de vue auquel, semble-t-il, adhèrent la clientèle et les fabricants de bijoux. À une époque où les jeunes épousent les tendances du développement durable, l’utilisation d’or recyclé en joaillerie gagne non seulement en popularité, mais constitue un moyen pour bien des entreprises de montrer qu’elles réduisent leur empreinte environnementale et s’efforcent de s’approvisionner auprès de sources responsables.

Les maisons spécialisées et les petits joaillers lancent des collections et des gammes exclusives tout en or recyclé. De leur côté, des géants comme Pandora – le plus grand fabricant de bijoux au monde – annoncent leur virage vers l’utilisation exclusive d’or et d’argent recyclés.

Aussi louables ces initiatives soient-elles, l’utilisation d’or recyclé n’est peut-être pas aussi respectueuse de l’environnement qu’on pourrait le croire.

Le virage vers les minerais recyclés ne met pas fin à l’exploitation minière

L’argument de prédilection en faveur de l’or recyclé est son côté prétendument plus écologique. Cet argument repose sur l’hypothèse selon laquelle, en optant pour de l’or recyclé, on atténue les répercussions environnementales de l’exploitation minière en réduisant la demande pour la production courante d’or.

Certes, les activités minières laissent des plaies indéniables sur l’environnement.

Les effets néfastes de l’extraction tant artisanale qu’à grande échelle ont été documentés au fil des ans – qu’il s’agisse de la mauvaise gestion des résidus, de la pollution de l’eau ou de la destruction d’écosystèmes fragiles.

Cela dit, l’utilisation d’or recyclé a peu de chances d’influencer la demande d’or issu de la production courante.

L’or est unique en ce sens qu’il sert de monnaie d’échange dans de nombreuses régions du globe. Dans des pays comme la République démocratique du Congo, il remplace l’argent liquide chaque fois qu’il sert à payer des biens et services. En Russie, il est utilisé dans un intérêt stratégique pour stabiliser la position du rouble et en maintenir la vigueur au regard des sanctions imposées par la communauté internationale dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine.

Aussi, la poursuite des activités d’extraction est tributaire avant tout du prix de l’or, de l’existence de gisements accessibles et des pressions économiques exercées sur les exploitantes et exploitants miniers. Si la demande de minerai et de bijoux influence le prix de l’or, l’appréciation de sa valeur dépend d’une multitude d’autres facteurs comme sa fongibilité, la valeur qu’il affiche sur les marchés et le rôle qu’il joue en matière de stabilité financière et de sécurité économique – autant de facteurs qui en maintiennent l’attrait aux yeux de la main-d’œuvre du secteur minier. 

Mais surtout, l’exploitation minière artisanale n’est pas près de disparaître.

Paupérisé et en grande partie informel, ce secteur est porté par des travailleuses et travailleurs qui sont moins motivés par les fluctuations de la demande et du prix de l’or que par la nécessité d’assurer leur subsistance en l’absence d’autres gagne-pain. Même l’effondrement du prix de l’or risque peu de les convaincre de déserter le secteur. 

C’est dire que, si la demande d’or recyclé a de bonnes chances d’augmenter, la production d’or issue de l’exploitation artisanale continuera néanmoins à se frayer un chemin jusqu’aux marchés.

Quand l’or recyclé est mélangé à de l’or de conflit

Non seulement l’or recyclé ne met pas un frein à la production courante, mais bon nombre d’entreprises ne savent pas réellement ce qu’elles achètent.

L’or recyclé peut provenir de ferraille, de surplus, d’anciens bijoux ou appareils électroniques – et même de plombages dentaires.

Ethical Metalsmiths propose un excellent aperçu des nombreuses définitions de l’or recyclé.

Fait plus préoccupant, si la traçabilité et l’obligation de vigilance à l’égard de la production courante sont au mieux limitées, elles sont quasi inexistantes dans le cas de l’or recyclé.

On s’inquiète vivement de la possibilité que l’or exporté clandestinement de régions à haut risque s’insinue dans la chaîne d’approvisionnement internationale à la faveur du virage vers l’or recyclé et de l’absence de système de traçabilité.

Selon le World Gold Council, il y a avait une offre de 1 149 tonnes d’or recyclé en 2021.

La même année, les affineurs accrédités par la London Bullion Market Association (LBMA) ont autodéclaré l’achat d’importants volumes d’or recyclé. À eux seuls, les affineurs suisses ont importé près de 290 tonnes d’or recyclé des Émirats arabes unis (EAU). Les EAU sont une plaque tournante notoire du transport de l’or, qui est souvent citée comme la destination de choix des acteurs du marché clandestin en raison de ses pratiques laxistes en matière d’importation et de contrôle préalable. Les méthodes employées par certains affineurs au pays ont été mises au jour dans un rapport récent, selon lequel l’or issu de l’exploitation artisanale serait mélangé à des sources recyclées avant d’être envoyé aux autorités suisses.

Pendant ce temps, les affineurs russes accrédités par la LBMA ont déclaré un approvisionnement de 35 000 kg d’or recyclé provenant de Russie en 2021, à l’instar des affineurs suisses qui ont assuré leur propre approvisionnement à hauteur de près de 300 tonnes.

De son côté, la Chine, qui a fourni le plus d’or recyclé aux affineurs du monde entier en 2021, soit 337 tonnes, est manifestement ouverte aux volumes d’or boudés par les autres pays, puisqu’elle fait bon accueil aux importations d’or russe depuis l’invasion de l’Ukraine.

Le Groupe d’action financière (GAFI) a souligné le risque de blanchiment d’argent que pose l’or recyclé. La LBMA, quant à elle, a dans sa mire les carrefours commerciaux qui exportent de grandes quantités d’or recyclé, comme les EAU, dans l’espoir de voir leurs pratiques d’approvisionnement responsable se redresser.

Enfin, le nouvel accord de partenariat économique global entre l’Inde et les Émirats arabes unis avive les préoccupations, puisqu’il a aboli les taxes sur l’or provenant des déchets et de la ferraille – des sources qui se soustraient à la portée de l’entente. Un développement qui, de l’avis des analystes, ne fera qu’accroître l’affluence d’or illégal déguisé en ferraille vers les EAU.

Opter pour l’or recyclé, c’est tourner le dos à la communauté minière artisanale

Il ne fait pas de doute que, pour beaucoup de bijoutiers et d’affineurs, l’or recyclé est tout simplement un choix facile et bon marché, surtout quand on le compare à l’or artisanal.

En conséquence, l’appétit des bijoutiers, et surtout des affineurs, pour l’or artisanal reste tout au plus limité. Si un groupe fidèle de petits joaillers responsables se sont engagés en faveur de l’or artisanal, on ne peut toujours pas compter sur des achats réguliers à grande échelle dépassant le cadre de quelques projets et programmes.

Les affineurs continuent à privilégier une approche de réduction des risques, préférant ne pas s’approvisionner dans certaines régions (dont l’Afrique) ou dans le secteur artisanal en général, sous prétexte des coûts, de l’offre irrégulière, des difficultés logistiques et des risques d’atteinte à la réputation.

En revanche, l’or recyclé soulève d’importants risques de blanchiment d’argent reconnus par la LBMA, des préoccupations souvent occultées et donc moins susceptibles d’être portées à l’attention des entreprises et du public. À la place, l’or recyclé est présenté comme un choix éthique, écologique et durable.

Pendant ce temps, les exploitantes et exploitants artisanaux sont astreints à des normes plus strictes que celles de l’or recyclé, normes qui rendent leur or inaccessible sur les marchés officiels. Ironie du sort, plusieurs initiés du secteur soupçonnent que d’importants volumes d’or artisanal s’infiltrent sur les marchés légitimes sous le vernis d’or recyclé.

De toute évidence, il est tout sauf responsable de s’en remettre à l’or recyclé sans poser de questions. Cette pratique ne fera que donner de l’élan à un segment opaque et à haut risque travesti en solution « écologique ». Pire, elle détournera l’attention de la réelle nécessité de soutenir les femmes et les hommes dont la subsistance dépend de l’exploitation minière artisanale. Et cet investissement-là pourrait générer ultimement des retombées beaucoup plus profitables sur le plan de la réduction de l’impact environnemental et du développement durable.   


Vous voulez en savoir plus?

Comment soutenir les exploitantes et exploitants miniers artisanaux et l’approvisionnement responsable, dans notre rapport annuel 2021-2022.

Comment l’or est introduit en contrebande sur le marché international depuis la République démocratique du Congo.