Par Kady Seguin, directrice des politiques et de la recherche d’IMPACT
Ces dernières années, on a tenté de mieux comprendre les obstacles et les débouchés qui attendent les femmes dans le secteur de l’exploitation aurifère artisanale. Cependant, on ne sait pas très bien quel est le rôle des femmes dans le commerce et le transport de l’or, souvent illicites.
S’il est facile de supposer que les hommes constituent la majorité des négociants en or et des contrebandiers, une récente analyse des articles de presse réalisée par IMPACT montre que les femmes jouent ces rôles plus souvent que nous ne le pensions.
La dimension genrée des chaînes d’approvisionnement en minéraux
L’exploitation minière est habituellement considérée comme un secteur dominé par les hommes, mais les études réalisées depuis dix ans montrent que les femmes jouent un rôle important dans le secteur de l’exploitation minière artisanale. Si les femmes sont effectivement peu présentes ou peu visibles sur certains sites, elles sont majoritaires sur d’autres sites. La discrimination et les inégalités entre les sexes qui règnent dans ce secteur font en sorte que le travail des femmes est souvent sous-estimé et qu’elles ne peuvent récolter les mêmes avantages financiers que les hommes. Pourtant, pour bien des femmes, le secteur minier artisanal représente une occasion d’échapper à la pauvreté et d’atteindre un mieux-être économique.
De façon générale, moins de femmes ont tendance à participer au flux d’achat et de vente qui se produit localement ou au-delà des frontières – mais il y a des exceptions, les chercheurs d’IMPACT ont identifié des femmes négociantes dans certaines communautés minières artisanales. Le commerce de l’or est une activité exigeante sur le plan de l’investissement en capitaux et les femmes se heurtent à des obstacles plus importants au chapitre de l’inclusion financière. Elles ont par exemple de la difficulté à ouvrir un compte bancaire ou à obtenir du financement. La sécurité physique et économique des commerçantes est plus facilement mise en danger, notamment en cas de collusion entre d’autres commerçants et des agents de la force publique.
Le manque apparent de femmes dans le commerce de l’or reflète les tendances d’autres chaînes d’approvisionnement de trafic illicite, comme le commerce de la drogue – où le Rapport mondial sur les drogues 2018 d’ONUDC a noté que 90 % des individus entrant en contact avec les systèmes de justice pénale de 98 pays étaient des hommes.
Les données du Kenya
Si les hommes sont beaucoup plus présents dans la contrebande de l’or, un examen rapide des cas récents en Inde indique que les femmes jouent peut-être un rôle plus important qu’on ne le croyait, notamment via le Kenya. Bien que le Kenya ne soit pas un grand producteur d’or, il a joué un rôle clé comme pays de transit pour d’autres grands producteurs d’Afrique de l’Est comme la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud.
Les médias ont signalé que des dizaines de femmes ont été arrêtées dans divers aéroports indiens alors qu’elles tentaient de passer de l’or en contrebande du Kenya. Il s’agit souvent d’éviter de payer les taxes exigées lors de l’importation d’or. En novembre 2021, en collaboration avec l’autorité fiscale du Kenya, des agents des douanes kenyanes ont appréhendé 30 femmes qui transportaient 4,88 kg d’or. Les femmes étaient soupçonnées de faire partie d’un réseau de contrebande qui transportait de l’or et des bijoux en or. Un mois plus tard, des douaniers indiens ont arrêté 18 autres femmes transportant 3,85 kg d’or non déclaré, dissimulé dans divers produits alimentaires et vêtements. Trois Kenyanes ont également été arrêtées à Mumbai après avoir tenté de passer près d’un kilo d’or en contrebande. Ces femmes transitaient par Doha. D’autres cas ont été signalés avant 2021 et laissent croire que certains schémas de contrebande pourraient être en place.
Des contrebandières d’or au Moyen-Orient
Le Kenya n’est qu’un exemple de pays où l’on trouve des cas documentés de femmes pratiquant la contrebande d’or.
Les femmes qui font de la contrebande d’or du Moyen-Orient vers l’Inde semblent être dans le collimateur des autorités indiennes depuis un certain temps — surtout depuis l’augmentation des droits de douane sur les importations d’or. Ceci, ainsi qu’un certain nombre de politiques relatives à l’or en Inde, a largement encouragé la contrebande, comme le montre le rapport d’IMPACT intitulé Une toile dorée : Comment l’Inde est devenue l’un des carrefours mondiaux de la contrebande d’or.
Au cours des deux dernières années, des femmes arrivant de Dubaï – régulièrement mentionné comme une destination pour l’or d’origine suspecte – ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de faire passer de l’or dans plusieurs aéroports indiens, notamment l’aéroport international Indira Gandhi de Delhi, l’aéroport international Rajiv Gandhi, l’aéroport Kempegowda, et l’aéroport de Pune. Alors que certaines personnes transportent des quantités relativement importantes d’or, d’autres transportent des quantités plus faciles à dissimuler dans la nourriture et les boissons, les vêtements ou sur le corps. Les bijoux représentent un autre véhicule par lequel l’or peut souvent franchir une frontière sans être déclaré, afin de ne pas payer de taxes.
D’autres cas révèlent une activité à plus grande échelle et des liens possibles avec le crime organisé, comme cette femme qui a été arrêtée à l’aéroport britannique d’Heathrow en janvier dernier avec 650 000 GBP de lingots d’or dans sa valise, et qui s’en allait en Inde.
Il convient de noter que si les cas cités ci-dessus concernent surtout l’Inde, c’est parce que les médias indiens accordent de l’importance à ce type d’histoire. Les femmes jouent peut-être un rôle important dans la contrebande d’or ailleurs, mais nous l’ignorons.
La contrebande d’or vue sous l’angle du genre
Ces exemples indiquent que les femmes jouent peut-être un rôle plus actif qu’on ne le croit généralement en matière de contrebande d’or. Mais pour comprendre l’ampleur réelle de leur participation, leur rôle exact, l’autorité dont elles sont investies, ainsi que les raisons qui les poussent à se lancer dans cette activité, il faut approfondir les recherches.
Le narcotrafic est un marché et un modèle commercial bien différent de la contrebande d’or, mais il offre des similitudes et peut nous éclairer à certains égards. On a constaté que les femmes jouent un rôle mineur mais souvent fondamental à tous les stades de la chaîne d’approvisionnement du narcotrafic, de la production à la distribution en passant par le transport. Ces rôles sont très genrés, et si certaines femmes sont motivées par le transport, l’achat et la vente de stupéfiants pour remplir des rôles plus traditionnels comme subvenir aux besoins fondamentaux de leurs enfants et des personnes à leur charge, d’autres sont motivées par le pouvoir, l’influence et le statut qu’elles peuvent obtenir grâce à ces rôles. Dans le commerce des drogues, les femmes ont recours à des stratégies souvent différentes de celles des hommes – ce qu’il est important de savoir lorsqu’on envisage d’adopter des politiques et des stratégies de contrôle.
Dans cette optique, nous pouvons voir en quoi la participation des femmes à la contrebande d’or peut, d’une part, constituer pour elles une source importante de promotion économique et, d’autre part, leur donner accès à des avantages dérivés du point de vue du statut social et de la mobilité. Le commerce illicite de l’or peut être une activité risquée pour tout le monde et les inégalités entre les genres ont une incidence sur les risques encourus par les femmes et les exacerbent. En outre, comme ce commerce opère dans l’ombre, il existe peu de recours juridiques dans le cas où les femmes sont victimes de formes d’intimidation, de vol, de violence fondée sur le sexe ou d’autres dangers. Dans certains pays, les forces de l’ordre et les autorités sont impliquées dans la contrebande d’or, et peuvent elles-mêmes adopter un comportement prédateur.
Pour être efficaces, les interventions politiques et les projets de lutte contre le commerce illicite de l’or doivent s’adresser à la fois aux femmes et aux hommes. Nous devons donc mieux comprendre comment le genre façonne et influence leurs expériences, et les motive à s’engager dans la contrebande en premier lieu. Sinon, il est probable que ces efforts continueront à se concentrer sur les hommes, ce qui plongera encore davantage les femmes dans l’ombre.