Rédigé par Alan Martin, Sechaba Consulting et Joanne Lebert, directrice générale d’IMPACT

La COVID-19 se propage partout sur la planète, mettant en danger la santé et la vie de millions de personnes, mais plongeant également l’économie dans le chaos.

IMPACT surveille de près les effets de la COVID-19 sur le secteur de l’extraction aurifère artisanale en République démocratique du Congo (RDC). Il est certain que des jours sombres attendent tous les acteurs et actrices de la chaîne d’approvisionnement de l’or artisanal, ainsi que les femmes et les hommes qui dépendent de l’exploitation minière artisanale.

Nous sommes particulièrement inquiets des effets de la pandémie sur les moyens de subsistance. Cette situation va encourager le commerce illicite des minéraux et nuire au climat de paix et de sécurité au pays.

Bien que la plupart des sites miniers artisanaux de la RDC se trouvent dans des régions reculées, nous savons que les exploitantes et les exploitants miniers de la RDC payent déjà très cher les conséquences de la pandémie et les mesures adoptées par les autorités locales. Il semblerait que les acheteurs d’or locaux manquent de liquidités, ce qui obligerait les exploitantes et les exploitants miniers à réduire considérablement le prix de leur or au comptant – de 30 à 50 %, selon les endroits.

D’après les recherches d’IMPACT, dans une région de l’Ituri, une province riche en or, sur 85 maisons d’achat de l’or, 79 ont fermé leurs portes faute d’acheteurs. Pour obtenir des liquidités et rouvrir un jour leurs portes, certaines des maisons qui ne sont plus en activité ont remplacé le commerce de l’or par celui du mercure – dont la valeur a également chuté, parfois jusqu’à 60 %.

Dans la région des Grands Lacs comme ailleurs, la fermeture des frontières et des espaces aériens a également bouleversé les modes traditionnels d’exportation de l’or. Le célèbre souk de l’or de Dubaï, plaque tournante du commerce international de l’or, est fermé, tout comme le bazar de Zaveri, à Bombay, où des joailliers travaillent l’or pour en faire des bijoux.

Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, et ce, même si des personnes déjà marginalisées comme les exploitantes et les exploitants miniers doivent en payer le prix; même si cela ébranle le fragile climat de paix et de sécurité qui règne dans l’est de la RDC, et même si cela sape des initiatives mondiales comme le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque visant à officialiser le secteur minier artisanal et à petite échelle (EMAPE).

L’industrie souffre, mais tout le monde ne souffre également.

Les affaires continuent pour certains commerçants dont les poches sont profondes et la tolérance au risque, élevée. Ils achètent à bas prix pour revendre à gros prix. La production se poursuit, même si une épidémie de COVID-19 menace sur des sites miniers bondés. Malgré les interdictions de vol des avions commerciaux et le défi logistique que cela pose, des cargaisons d’or illicites quittent encore l’Afrique de l’Est à destination de marchés internationaux. Et ce qui ne peut être facilement exporté est stocké.

Le cas d’Alain Goetz est assez révélateur à cet égard. Selon Reuters, ce raffineur belge récemment reconnu coupable de blanchiment d’argent, aurait déclaré que « les marchands d’or ont maintenant une occasion unique, mais seulement s’ils arrivent à sortir l’or du continent africain et à en retirer des liquidités ».

À Nairobi, plaque tournante de l’or artisanal de la RDC – un marchand d’or a raconté à IMPACT que les arrivages habituels en provenance de la RDC se faisaient rares, mais que plusieurs de ses collègues se rendaient personnellement dans l’est de la RDC et à Entebbe, en Ouganda (pays limitrophe) à bord de jets privés pour conclure des marchés et exporter de l’or. D’autres, dont lui-même, songent à se rendre en RDC par voie terrestre pour aller acheter de l’or directement auprès des exploitantes et exploitants miniers.

Une fois à Nairobi, l’or peut être acheminé sur les marchés internationaux de deux façons. IMPACT a appris qu’au moins un homme d’affaires israélien prévoyait transporter une cargaison d’or à bord de son jet privé. Ceux qui tolèrent bien le risque se tournent vers les vols de fret disponibles quotidiennement à destination de Dubaï ou d’Istanbul – des centres de raffinement connus. Toutefois, cette dernière option est risquée, comme a pu le constater un négociant ougandais dont la cargaison d’or, évaluée à 300 000 $, s’est volatilisée à l’aéroport d’Entebbe.

Depuis le début du mois d’avril, environ huit vols cargo quittent quotidiennement l’aéroport international de Kenyatta, à Nairobi, pour se rendre (à l’exception d’un seul) vers les pays du Golf. L’un de ces vols reste un véritable mystère : un Boeing 737 portant le suffixe N837DM enregistré au nom de la Bank of Utah. Dans les jours qui ont précédé, entre Riyadh et Addis-Abeba, l’avion s’est écarté de sa trajectoire normale pour s’arrêter à Nairobi, à Entebbe et à Ahmedabad, une ville proche de Bombay, la capitale indienne de l’or. En 2017, la Bank of Utah a été montrée du doigt : elle permettait à de riches étrangers – dont certains étaient soumis à des sanctions américaines – de dissimuler leur identité derrière des comptes en fiducie d’avions pour obtenir légalement des enregistrements américains pour leurs aéronefs. Si ce vol reste mystérieux – le contenu de sa cargaison, l’identité du propriétaire, les objectifs visés – sa trajectoire et son historique montrent combien il est facile de transporter de l’or entre l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et les centres de commerce situés en Asie.

Pendant cette crise, le prix de l’or est resté stable, à plus de 1 600 $ USD l’once, bien au-dessus du prix de l’année dernière. Si le prix de l’or chute pour les exploitantes et exploitants miniers locaux en raison de la pénurie d’acheteurs, il augmente pour ceux qui arrivent encore à exporter de l’or, ce minerai se faisant de plus en plus rare sur les marchés régionaux et internationaux. À l’heure actuelle, à Nairobi, un kilo d’or se vend pour la modique somme de 28 000 $ USD, alors que son prix de revente peut atteindre 46 000 $ USD. Les prix oscillent selon le fournisseur et l’origine de l’or.

Un négociant d’or de Nairobi a expliqué à IMPACT que plus il y a d’intermédiaires, plus il faut payer de commissions et qu’il vaut donc mieux se procurer l’or directement à la mine.

En raison de sa valeur au poids, l’or est l’un des minéraux de conflit les plus lucratifs. C’est pourquoi l’or a joué un rôle de premier plan dans le financement de la guerre civile qui sévit depuis des dizaines d’années en RDC. Toute pénurie de l’approvisionnement en or ou tout problème de liquidités sur les sites miniers met le feu aux poudres et déstabilise le pays sur le plan de la sécurité.

L’économie souterraine a ses propres règles. Par exemple, l’or est souvent payé selon un système d’hawala ou échangé contre des marchandises pouvant être écoulées facilement au point d’exportation et converties en argent liquide. On évite ainsi d’emprunter les circuits bancaires officiels. Des entreprises légitimes, par exemple des supermarchés ou des sociétés d’import-export, convertissent souvent leurs profits locaux en or afin de se soustraire à de stricts contrôles des changes. Ces économies souterraines sont particulièrement prospères quand la conjoncture économique est instable.

La fermeture des frontières, la stagnation des échanges commerciaux et la pénurie de liquidités à l’échelle locale pourraient avoir trois conséquences directes sur les communautés minières artisanales :

  1. En Ituri, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, l’économie formelle va devenir plus informelle, car il est tentant d’investir dans le secteur minier artisanal en période de crise.
  2. Les nouveaux acheteurs arriveront de l’extérieur, ce qui va perturber l’écosystème aurifère local et sa hiérarchie.
  3. Divers groupes armés et élites politiques vont se livrer bataille pour obtenir un accès préférentiel à ces acheteurs extérieurs, mais également pour exercer un contrôle sur de nouveaux territoires (et sites miniers).

C’est exactement ce qui s’est produit dans des zones minières touchées par des conflits, que ce soit en République centrafricaine, au Soudan du Sud ou ailleurs, depuis les mines de diamants de Marange, dans l’est du Zimbabwe, jusqu’en RDC.

La pandémie de COVID-19 ajoute une nouvelle menace à la sécurité : la communauté internationale est débordée et mobilise toutes ses ressources pour lutter contre le virus, nous ne savons donc pas si, en cas de détérioration de la situation, elle sera en mesure d’envoyer des fonds ou des troupes pour appuyer la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

Les conditions sont donc idéales pour les groupes armés très opportunistes qui voudraient profiter de la situation afin de s’emparer des mines artisanales – y compris des mines déclarées « libres de conflits » en vertu du mécanisme de certification régional de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), harmonisé sur le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises.

Il s’agirait d’un coup dur pour les acquis obtenus de haute lutte par la communauté internationale afin d’officialiser le secteur de l’extraction aurifère artisanale et de le promouvoir sur la scène internationale auprès des raffineurs et joailliers.

Tout ce qui compromet les efforts visant à créer des chaînes d’approvisionnement plus responsables, y compris le relâchement des mesures lié à la crise actuelle, finira par renforcer un système qui désavantage gravement les exploitantes et les exploitants de mines artisanales et qui contribue aux conditions mêmes qui, à l’origine, les ont rendus vulnérables. La plupart des carrefours d’échange et des actrices et acteurs du secteur aurifère se sont montrés indifférents aux conditions de travail et au bien-être des exploitantes et exploitants de l’EMAPE. Ils n’ont pas hésité à fermer les yeux sur leurs conditions de vie, dignes d’un roman de Dickens, ni à résister aux occasions de se tourner vers des sources légales d’or de l’EMAPE.

Collectivement, nous devrons réfléchir à l’adoption d’une approche en deux temps pour, à court terme, réagir de toute urgence à l’effondrement économique créé par la COVID-19 et, à plus long terme, aux conditions qui, en raison de cette crise, vont rendre les exploitantes et les exploitants de mines artisanales et leurs communautés encore plus vulnérables.

Tandis que la pandémie de COVID-19 favorise les achats d’or illicite et menace la sécurité intérieure de la RDC, il est plus important que jamais que l’industrie aurifère exerce son devoir de diligence et se garde de financer les réseaux qui prennent en otages les plus pauvres de ce monde.