Il y a plus de 15 ans, le terme « minerais de conflit » était utilisé pour la première fois et braquait les projecteurs sur la République démocratique du Congo. Depuis, des initiatives régionales et internationales ont vu le jour pour contrer le commerce illicite de minerais de grande valeur dans l’est du pays. Ce commerce, qui finance divers groupes armés, alimente l’insécurité et les conflits.
L’approvisionnement en étain, en tantale, en tungstène (les « 3T ») et en or du secteur privé est de plus en plus scruté. D’importants efforts ont été consentis pour cibler et atténuer les risques associés à ces chaînes d’approvisionnement.
En dépit de nombreuses tentatives au fil des ans pour briser le lien entre minerais et conflit, l’histoire se répète.
L’emprise croissante de groupes armés sur les ressources minières et les voies de transport
Selon les faits, le M23 aurait pris le contrôle de Rubaya fin avril 2024. C’est dans cette zone qu’est produite la majeure partie du coltan congolais, un minerai dont on extrait le tantale. Selon le Groupe d’experts des Nations unies, le M23 a consolidé son emprise sur cette région riche en ressources et établi une nouvelle route d’exportation vers le Rwanda. Par la taxation et la contrebande de minerais, ce groupe armé tire des profits substantiels de l’exploitation minière en RDC. Les revenus mensuels du M23 provenant de l’extraction et du commerce de minerais de Rubaya sont estimés à 800 000 dollars américains.
Bien que certaines exploitations minières de l’est de la RDC ne soient pas directement touchées par le conflit, l’année 2025 a débuté dans un climat de violence : Goma, plaque tournante stratégique d’exportation et de transit des minerais, a été le théâtre de nouveaux affrontements. L’insécurité s’est également étendue au Sud-Kivu, notamment à Nyabibwe, une région riche en 3T et en or située à mi-chemin entre Goma et Bukavu, où des combats ont récemment éclaté. À la mi-février, le M23 occupe la ville de Bukavu, un autre centre névralgique d’exportation et de transit des minerais.
En outre, de récents rapports indiquent que des groupes armés de la province de l’Ituri forment des alliances avec le M23, tandis que de nouvelles violences dans la province suscitent des craintes d’un conflit régional plus large. Le Groupe d’experts de l’ONU estime que les groupes armés actifs dans la province de l’Ituri ont généré environ 140 millions de dollars américains en 2024, éclipsant largement les revenus tirés du commerce illicite des 3T.
L’insécurité persistante soulève de sérieuses inquiétudes quant aux routes de transport et points d’exportation encore accessibles, notamment pour les 3T. Par ailleurs, le M23 cherchant à étendre sa présence dans l’est, celle-ci risque de perturber le lucratif secteur aurifère du pays, que ce soit directement ou indirectement.
Des minéraux liés aux groupes armés déjà présents sur le marché international
Des minéraux provenant directement du M23 et d’autres groupes armés trouvent preneurs sur le marché international.
De nombreux acteurs du secteur privé n’ont pas pleinement mis en œuvre les mécanismes de diligence raisonnable dans leurs chaînes d’approvisionnement, conformément aux normes internationales, notamment ceux que préconise le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque (Guide OCDE sur le devoir de diligence). Les entreprises ferment les yeux, préfèrent ne pas s’interroger sur l’origine de leurs achats ou se rendent complices en se reposant aveuglément sur les mécanismes sectoriels malgré les signaux d’alarme que recensent les rapports du Groupe d’experts de l’ONU.
Les préoccupations concernant ITSCI – seul programme de la traçabilité et de la diligence raisonnable des 3T en RDC – sont si sérieuses qu’il a, en 2024, perdu la reconnaissance de la Responsible Minerals Initiative (RMI), cette dernière notant que subsistent d’importantes lacunes en regard des conditions de reconnaissance. Malgré ce désaveu, le Groupe d’experts de l’ONU se dit toujours préoccupé, car des acteurs du secteur privé s’appuient encore sur ce programme pour s’acquitter de leur devoir de diligence raisonnable et n’effectuent pas les contrôles de qualité indépendants supplémentaires que requièrent les normes internationales.
Parallèlement, les autorités ne remplissent pas leurs obligations en matière de réglementation et d’application des normes devant favoriser un approvisionnement responsable en 3T et en or, au nombre desquelles les six outils de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, notamment le Mécanisme régional de certification (MRC). La RDC et ses voisins s’étaient engagés à mettre en œuvre ces outils dans la Déclaration de Lusaka signée en 2010.
L’approvisionnement doit être suspendu lorsqu’il finance des groupes armés
Les normes régionales et internationales, entre autres le Mécanisme régional de certification de la CIRGL et le Guide OCDE sur le devoir de diligence, sont sans équivoque : les chaînes d’approvisionnement en minerais ne peuvent en aucun cas soutenir, directement ou indirectement, des groupes armés non étatiques.
Les preuves selon lesquelles les groupes armés détiennent le contrôle de sites miniers et de routes commerciales, tant pour les 3T que pour l’or, sont concluantes.
De plus, le 12 février, le gouvernement de la RDC a mis sur liste « rouge » un certain nombre de sites du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, de sorte qu’aucune activité minière légale n’y est permise.
Les acteurs du secteur privé doivent immédiatement cesser de s’approvisionner en minerais dans les zones sous influence des groupes armés, qu’il s’agisse des sites miniers, des voies de transport ou des carrefours de négoce. Ils doivent exercer une diligence raisonnable rigoureuse sur leurs chaînes d’approvisionnement en matériaux exportés, a fortiori lorsque des preuves montrent que ceux-ci sont passés en contrebande pour entrer sur le marché légal, notamment via les pays voisins.
L’interruption des relations commerciales doit rester une mesure de dernier recours, particulièrement lorsqu’elle pourrait nuire aux moyens de subsistance des exploitantes minières et exploitants miniers et de leurs communautés. Si l’exploitation artisanale représente une source essentielle de revenus pour des milliers de femmes et d’hommes de la région des Grands Lacs, la protection des vies humaines et la prévention des violations des droits fondamentaux doivent prévaloir.
La voie de la paix
Mettre fin à l’approvisionnement en minerais liés aux groupes armés ne suffira pas, à lui seul, à résoudre le conflit en RDC, mais c’est assurément une exigence minimale en matière de diligence raisonnable. Le secteur privé ne peut pas se rendre complice des violences et violations des droits humains perpétrées contre les civils en RDC.
Le monde dépend des minerais de l’est du Congo. Leur commerce se poursuit, en temps de guerre comme en temps de paix.
La mainmise du M23 sur des zones minières clés met en lumière la fragilité des initiatives mises en place jusqu’ici, tout en soulignant leur inadéquation à instaurer une paix durable dans la région.
Seule une solution régionale permettra d’y parvenir.
Les gouvernements de la région des Grands Lacs doivent tenir les engagements pris dans la Déclaration de Lusaka de 2010, qui prévoit une action conjointe contre le commerce illicite des ressources naturelles et ses liens avec les conflits et l’insécurité. Les communautés locales, les femmes et la société civile doivent également être parties prenantes du processus de paix.
Comme le montre l’expérience d’IMPACT, la lutte contre le commerce illicite des minerais dans la région des Grands Lacs – où les frontières poreuses facilitent leur circulation – nécessitera un effort conjoint entre les États. La région doit s’unir pour trouver la voie à suivre. Il faut espérer que ce sera la voie vers une paix durable.
Bien que la situation actuelle soit décourageante, les 15 dernières années ont été porteuses de plusieurs enseignements. Il est temps d’appliquer de les appliquer à une approche renouvelée pour rompre, une fois pour toutes, le lien entre minerais et conflits.
Notes au lecteur
L’est de la République démocratique du Congo (RDC) possède d’importantes réserves de minéraux, notamment d’or, d’étain, de tungstène et de tantale (3T). Ces quatre minéraux sont qualifiés de « minéraux de conflit ». L’Agence internationale de l’énergie classe les 3T parmi les minéraux critiques, essentiels à la transition énergétique verte.
La RDC fournit plus de 40 % du coltan mondial, le minerai à partir duquel est extrait le tantale. Il ne faut pas confondre le coltan avec le cobalt, autre minéral critique extrait dans une région distincte de la RDC, située à environ 1 200 km plus au sud.