Bienvenue dans notre série Focus, où nous explorons les dynamiques complexes qui façonnent les communautés d’exploitation minière artisanale et leur transition vers des pratiques responsables. Dans le cadre de discussions enrichissantes avec des expertes, nous mettons en lumière les défis urgents et les solutions innovantes qui émergent à l’intersection des enjeux sociaux, économiques et environnementaux des chaînes d’approvisionnement en minerais.
Cette série présente des témoignages et des perspectives de l’équipe d’IMPACT et de ses partenaires, qui couvrent nos cinq domaines d’intervention : réforme réglementaire et législative, transparence des chaînes d’approvisionnement, commerce illicite, égalité des genres et gestion de l’environnement. Ensemble, nous explorons comment les politiques peuvent s’harmoniser, comment les parties prenantes peuvent collaborer et comment des pratiques équitables peuvent s’ancrer dans le secteur de l’exploitation minière artisanale.
Dans ce numéro, Céline Koffi, Chargée de la sensibilisation chez IMPACT en Côte d’Ivoire, nous livre une analyse approfondie sur la manière dont les coopératives favorisent la cohésion sociale et la gestion des ressources dans les communautés minières artisanales. Ses observations exposent les opportunités et les défis liés aux migrations dans les régions minières, ainsi que le rôle crucial des coopératives dans le maintien de l’harmonie et le partage équitable des ressources.
Dans de nombreuses communautés minières, la découverte de ressources naturelles précieuses attire souvent des travailleuses et travailleurs venus de diverses régions, voire de l’étranger. Comment cet afflux de migrants affecte-t-il les communautés d’accueil, en particulier en ce qui concerne la cohésion sociale et la gestion des ressources ?
Céline: On observe une augmentation importante des migrations en provenance des pays voisins, motivées par la recherche de ressources naturelles comme les minerais, l’eau et les terres arables en Côte d’Ivoire. Cet afflux affecte les communautés d’accueil de diverses façons; ses effets, dont certains sont positifs et d’autres négatifs, influencent à la fois la cohésion sociale et la gestion des ressources.
La mixité culturelle, en contribuant au développement socioéconomique, en encourageant les activités génératrices de revenus, en renforçant le pouvoir d’achat et en autonomisant les jeunes et les femmes, a enrichi le tissu social. Par exemple, le département de Dabakala, enclavé et essentiellement agricole, a connu une transformation socioéconomique grâce à l’afflux de migrants, principalement originaires du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de la Mauritanie. Cet afflux a stimulé les activités économiques, en particulier l’exploitation minière artisanale, favorisé l’urbanisation et permis une plus grande autonomisation des femmes et des jeunes, ce qui soutient en fin de compte une coexistence harmonieuse.
Cependant, des défis se posent en matière de gestion des ressources. Le partage des terres et de l’eau entre migrants et locaux met parfois les relations à rude épreuve, fragilise la cohésion sociale et entraîne des conflits. À Angbassou, par exemple, des tensions ont émergé à cause de la pollution de l’eau et de la conversion des terres agricoles en sites d’orpaillage. Le planetGOLD en Côte d’Ivoire s’attaque en partie à ces problèmes, notamment au moyen de campagnes de sensibilisation et de séances de formation visant à réduire l’utilisation de produits chimiques comme le mercure, ainsi qu’à promouvoir des pratiques de santé et de sécurité. De même, le projet Or Juste a atténué les tensions sur le site artisanal de COOPEDA en conviant tous les leaders communautaires — tels que les anciens locaux, le président du groupe de jeunes et la présidente de l’association de femmes — au comité de gestion de manière à renforcer la cohésion sociale.
On constate que cet afflux peut exercer une pression sur le logement local, l’approvisionnement en nourriture et les services de santé. Comment les coopératives des régions d’exploitation minière artisanale peuvent-elles aider les communautés d’accueil à s’adapter et à assurer un accès équitable à ces ressources ?
Céline : Les coopératives jouent un rôle crucial dans l’amélioration des infrastructures locales puisqu’elles investissent dans le logement, les centres de santé et les installations d’approvisionnement en eau. Par exemple, COOPEDA a construit des centres de santé et des logements pour le personnel enseignant et de la santé à Kogbera, ainsi que des pompes à eau à Kotolo et Tollédougou. Ces investissements assurent la disponibilité des services essentiels pour les personnes résidentes et les populations entrantes, ce qui permet de réduire la concurrence pour des ressources limitées.
De plus, l’hôpital général de Dabakala a reçu de la part de COOPEDA un don d’équipements médicaux essentiels qui favorisent un accès équitable à des soins de qualité. En outre, la coopérative minière Bidiala Bôbôssô a lancé un projet de construction de logements pour ses membres pour alléger la pression sur le marché immobilier local.

En offrant des programmes de formation et des possibilités d’emploi, les coopératives facilitent l’intégration des migrants dans l’économie locale et contribuent à atténuer la pression sur les ressources existantes. Ces initiatives permettent d’autonomiser à la fois la population locale et les nouveaux arrivants.
Elles permettent une répartition équitable des occasions économiques et favorisent la contribution des migrants à la croissance de la communauté.
Les coopératives jouent également un rôle essentiel dans la gestion des fluctuations du marché et dans la recherche de solutions aux défis environnementaux auxquels se butent les communautés minières artisanales. En mutualisant les ressources et en partageant les risques, elles assurent la stabilité économique et, ce faisant, réduisent la vulnérabilité des exploitantes minières et exploitants miniers à la volatilité du marché. En tant qu’entités collectives, elles ont un meilleur accès au financement que les individus, ce qui leur permet d’investir dans des équipements modernes et des technologies plus durables. Ces investissements améliorent non seulement l’efficacité et la productivité, mais réduisent également l’impact environnemental, ce qui profite à l’ensemble de la communauté.
Par ailleurs, les coopératives peuvent jouer un rôle clé dans la promotion de la gestion durable des ressources naturelles en encourageant une utilisation responsable de l’eau et des terres afin d’éviter les conflits et d’assurer un accès équitable. Par exemple, sur le site minier de COOPEDA, les leaders communautaires locaux participent activement aux décisions de gestion, et des fonds sont expressément alloués à des projets sociaux profitant à l’ensemble de la communauté. Ces efforts permettent de répondre directement aux disparités potentielles d’allocation des ressources. Les séances de sensibilisation et les programmes éducatifs constituent des outils essentiels pour répondre aux divers besoins des populations locales et des migrants. Ils renforcent la résilience des communautés et améliorent leur bien-être politique, social et économique tout en facilitant leur intégration dans la société. En offrant un accès à l’information et aux connaissances — notamment sur les droits et obligations, les services offerts et les occasions à saisir —, ces initiatives favorisent la compréhension mutuelle, renforcent l’autonomie économique et encouragent une utilisation plus efficace des ressources.
Par exemple, COOPEDA, coopérative minière de Dabakala, a mis en place un vaste programme de sensibilisation à l’intention des communautés voisines et au-delà, afin de faciliter l’intégration des migrants possédant une expertise dans l’exploitation minière artisanale. Cette initiative a permis d’apaiser les tensions et d’améliorer le pouvoir d’achat des populations locales, qui considèrent désormais les migrants comme un marché potentiel. Elle a également offert une solution de rechange à certains jeunes chômeuses et chômeurs qui, non informés, auraient pu se tourner vers des activités génératrices de revenus moins recommandables, voire illicites, comme l’érection de barrages routiers et la taxation des axes de transport. S’appuyant sur les avancées du projet Just Gold, COOPEDA continue d’accueillir et de former les nouvelles travailleuses et les nouveaux travailleurs. Ces derniers trouvent non seulement leur place dans la communauté, mais bénéficient également d’une formation aux pratiques minières artisanales durables et respectueuses des droits humains.
La confiance entre exploitants miniers est essentielle à l’action collective, en particulier lorsque des ressources comme les outils, les recettes ou les terres sont partagées. Comment les coopératives peuvent-elles contribuer à instaurer et à maintenir la confiance au sein des communautés minières artisanales, surtout lorsque les activités sont souvent régies par des accords informels ?
Céline : Construire et maintenir la confiance au sein des communautés minières artisanales nécessite des mesures concrètes, même dans le cadre d’accords informels.
Avec un soutien adéquat, les coopératives peuvent établir des règles claires et transparentes de gestion des ressources et des recettes. Ces règles permettent de réduire les malentendus et les suspicions, et ainsi de renforcer la confiance entre les membres. Par exemple, les assemblées générales annuelles de COOPEDA offrent une plateforme où la communauté, les parties prenantes et les autorités peuvent examiner les réalisations et les avantages de manière transparente. En impliquant tous les membres dans la prise de décision, les coopératives permettent à chacune et à chacun de se sentir valorisé. Il est alors possible de cultiver un sentiment commun de responsabilité et d’appartenance.

Les formations et le renforcement des capacités améliorent le travail d’équipe et affinent les compétences en résolution de problèmes. Par ailleurs, la mise en place de mécanismes formels de résolution des conflits facilite le traitement équitable et efficace des différends. De même, la promotion d’une répartition équitable des recettes réduit les inégalités économiques et renforce la solidarité.
COOPEDA, par exemple, fait la démonstration de cette approche en lançant des projets sociaux qui profitent aux communautés locales et en obtenant des documents officiels émis par les autorités étatiques ce qui permet d’asseoir un cadre plus sûr et plus fiable.
Cependant, il est important de noter que les coopératives ne sont pas encore toutes outillées pour mettre en œuvre ces pratiques. De nombreuses coopératives, notamment celles qui viennent d’être créées, ont souvent besoin d’un accompagnement en la matière. C’est précisément l’un des objectifs du projet planetGOLD en Côte d’Ivoire, lequel fournit les ressources, les formations et l’encadrement nécessaires aux coopératives pour adopter ces bonnes pratiques. La confiance et la coopération, éléments essentiels à la réussite des coopératives minières artisanales, sont alors renforcées.
Les conflits liés aux droits miniers, à l’allocation des ressources ou au leadership peuvent fragiliser les communautés minières artisanales. Comment les coopératives parviennent-elles à résoudre ces différends pour préserver l’harmonie? Quelles leçons peut-on tirer des cas exemplaires que vous avez observés ?
Céline : Les coopératives jouent un rôle essentiel dans la résolution des conflits au sein des communautés minières artisanales en mettant en œuvre différentes stratégies pour maintenir l’harmonie.
La médiation et le dialogue figurent parmi les approches clés. Elles organisent des rencontres où les parties en conflit peuvent exprimer ouvertement leurs doléances et travailler conjointement à la recherche de solutions acceptables. Ce processus ne se limite pas à la résolution des problèmes immédiats; à long terme, il favorise une culture de la communication constructive.
D’après notre expérience, la sensibilisation est un élément fondamental. Les coopératives informent leurs membres sur leurs droits et responsabilités, ainsi que sur les techniques de gestion des conflits. Ces mesures permettent de prévenir les malentendus et d’encourager une culture de paix au sein de la communauté.
La transparence et la gouvernance participative contribuent également à la préservation de l’harmonie. En encourageant la participation des membres à la prise de décision et en assurant une gestion transparente des ressources, les coopératives réduisent les tensions et les suspicions. Cette approche inclusive renforce la confiance et la cohésion sociale.
Les accords formels constituent un autre outil essentiel dans l’arsenal des coopératives. Ces dernières définissent clairement les modalités d’allocation des ressources et des droits miniers, et clarifient du même souffle les attentes et minimisent les risques de conflits. Par exemple, COOPEDA a signé un protocole d’entente avec les communautés locales pour fixer les taux de partage des recettes, ce qui a permis d’instaurer un climat d’équité et de collaboration.
Nos réalisations avec COOPEDA témoignent du succès du projet Or Juste. Celui-ci a permis à la coopérative de mettre en place un système de gestion diligente au sein de sa chaîne d’approvisionnement de manière à pouvoir identifier, analyser et atténuer les risques. Ont été créés des comités inclusifs réunissant les parties prenantes et les membres des communautés locales, qui favorisent une participation élargie et une supervision efficace. Cette stratégie a considérablement réduit les conflits latents entre les acteurs miniers et les communautés environnantes puisque le climat social est plus stable et plus sécuritaire.
On a vu que les femmes jouent souvent des rôles essentiels, mais peu valorisés, dans les communautés minières. Comment l’autonomisation des femmes au sein des coopératives contribue-t-elle à une meilleure cohésion sociale et à une prise de décision plus équitable ?
Céline : L’autonomisation des femmes au sein des coopératives a une influence majeure sur la cohésion sociale et l’équité dans la prise de décision. En intégrant les femmes dans les processus décisionnels, les coopératives peuvent tabler sur des points de vue diversifiés qui aboutissent à des résultats plus nuancés et inclusifs. Grâce à leur participation active, les femmes s’assurent que leurs voix sont entendues et valorisées.
Grâce au projet Or Juste, on a pu observer que les programmes de formation et de développement ont permis aux femmes d’acquérir de nouvelles compétences, de renforcer leur leadership et leur confiance en elles, et de s’impliquer activement dans les activités de la coopérative. Le projet a mis l’accent sur l’importance de la parité hommes-femmes au sein de la coopérative et sur le site minier, ce qui a permis d’instaurer des changements considérables en matière de participation et de leadership.
Résultat : COOPEDA a accueilli 13 femmes parmi ses membres. Au sein du conseil d’administration, une femme a été nommée responsable des finances – une avancée majeure vers une gouvernance plus inclusive. Un comité sur le genre, l’un des organes de gestion du site, a également été mis en place sous la présidence d’une femme. Par ailleurs, une association de femmes exploitantes minières a été créée, ainsi que d’autres initiatives économiques visant à défendre les droits des femmes sur le site. Des femmes issues de villages voisins, y compris des présidentes d’associations féminines, se sont également impliquées activement, et certaines ont même réussi à acquérir des biens matériels plus importants que ceux de leurs homologues masculins.
Cette représentation accrue des femmes dans les sphères de décision a permis d’adopter des mesures favorisant leur autonomisation, d’augmenter leur pouvoir d’achat et d’aider les hommes à reconnaître le rôle indispensable des femmes dans ce secteur. En leur assurant un accès équitable aux ressources, ces coopératives leur permettent de mieux subvenir aux besoins de leur famille et de contribuer de manière non négligeable à l’économie locale.
La solidarité entre femmes est également un élément clé du succès des coopératives. Par exemple, sur le site minier de COOPEDA, les femmes ont formé des associations pour gérer des tâches essentielles telles que l’assainissement et le lavage du minerai. Leur contribution indispensable s’avère donc indispensable. Les coopératives des communautés minières artisanales ont joué un rôle central dans la revalorisation des rôles féminins et l’évolution des perceptions au sein de la société. Elles contribuent à mettre en lumière l’importance du rôle des femmes dans le développement communautaire.

À propos de Céline Koffi
Céline est Chargée de la sensibilisation chez IMPACT. Elle veille au déploiement d’initiatives de sensibilisation auprès de communautés et de groupes d’exploitantes et d’exploitants miniers artisanaux. Elle possède une vaste connaissance des chaînes d’approvisionnement en or artisanal et travaille aux côtés des groupes d’exploitation artisanale pour soutenir leur formalisation.
Elle a contribué à des initiatives de traçabilité devant aider les exploitantes et exploitants ainsi que les négociants à améliorer leurs pratiques et ainsi favoriser un commerce responsable. Elle s’est également investie dans des actions visant à promouvoir l’égalité des genres et à éradiquer le travail des enfants sur les sites miniers. Céline est titulaire d’une maîtrise en gestion de l’Université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan, en Côte d’Ivoire.